Une journée de shopping épuisante [PV Majimena]

La somme d'argent que lui avait confiée Finlay était très confortable. Elnaria n'avait d'ailleurs pas souvenir d'avoir déja eu en main un tel montant.
Elle arpentait les rues de Ginza, chef-lieu de la haute couture et du luxe à Tokyo. Les enseignes prestigieuses se succédaient.
Ses yeux ne savaient où se poser tant il y avait de choses à regarder, et elle ne savait par où commencer. Les boutiques à la devanture tapageuse la rebutait, elle cherchait la sobriété, signe selon elle d'une bien plus grande classe.

Elle se décida finalement, et pénetra dans le magasin Chanel.
Les vendeuses la dévisagèrent avec suspicion. Certes, sa tenue n'était pas des plus élégantes... Et elle comptait bien y remédier.
Souriante, Elnaria se dirigea vers l'une des femmes, celle qui avait l'air la moins hautaine à son égard. C'était une japonaise d'une cinquantaine d'année, dont les manières, tout en retenue, inspirait la sérénité.
"Bonjour. Je m'appelle madame Aele. Je vous prie de m'excuser pour ma tenue. Je souhaite me procurer une garde-robe plus respectable, et je m'en remets à vous pour cela.
Je veux m'offrir de ces tailleurs qui ont fait la renommée de Chanel, une ou deux tenues de soirées, ainsi qu'un sac. Je verrais par la suite si d'autres choses me sont nécessaires."
Le regard de la femme s'adoucit, elle lui adressa une révérence respectueuse, et l'entraina dans les cabines d'essayages.
"Très bien, madame Aele. Je vais vous porter différentes tenues, et nous allons voir ensemble ce qui vous convient, ce que vous recherchez. Hum... Elle jaugea Elnaria un instant. Pour la taille, j'ai mon idée. Je vous remercie de votre confiance."
Elle disparut quelques instants, et revint les bras chargés de modèles.


Une heure plus tard, Elnaria ressortit de la boutique, les bras chargés de sacs, et vétue d'un tailleur en tweed d'un vieux rose, relevé de blanc, parfaitement ajusté. Elle avait opté pour une paire de souliers à talons blancs.
Parmi ses achats, on pouvait également compter deux autres tailleurs, un fourreau, un sac, et quelques accessoires.
Elle continua ses emplettes à Dior, Kenzo, et Tiffany's pour la joaillerie.
La journée était bien avancée, et le soleil était sur le point de se coucher. Il ne lui restait pour ainsi dire plus d'argent, et Elnaria se décida alors à clore cette fatiguante, mais très plaisante partie de shopping par un salon de beauté.
Durant une heure, elle se fit cocooner, entre masques et gommages, remise en ordre de sa chevelure, et elle finit de vider sa bourse dans des produits cosmétiques.



Elle quitta l'institut où l'on se confondait en révérence devant elle, probablement alléché par la vision du nombre de sacs qui lui encombraient les bras.
Epuisée, elle prit la direction de leur domicile, trébuchant sous le poids de ses achats, le champs de vision totalement obstrué... A tel point qu'elle ne put éviter de s'affaler au sol au premier trottoir, ne l'ayant pas vu. Elle se maudit de n'avoir pas su se modérer, et grogna discrètement, tentant de rassembler ses sacs épars.

Elle rougit lorsqu'elle entendit une voix s'adresser à elle, légèrement rieuse.
"Pouvons-nous vous être utile, mademoiselle ? Vous m'avez l'air dans une situation délicate."
Sans lever les yeux, très génée, elle prononca avec timidité "Je... Suis confuse.... Ce n'est pas de refus messieurs."
Elle ne pouvait apercevoir que leur mocassins, elle n'osait pas les regarder, la situation était bien trop rocambolesques à son goût.

Cette journée inquiétait Majimena. Il était obligé de se montrer en public, et il n'aimait pas ça. Mais il y avait trop de choses en jeu. Tetsuzō Fuyushiba, ancien ministre de l'Aménagement du territoire, des Infrastructures et des Transports, était resté un membre très influant du Nouveau Kōmeitō. Le posséder signifierait posséder les 31 représentants à la chambre basse et les 20 conseillers à la chambre haute qui portent les couleurs du Kōmeitō à la Diète japonaise.
Dans le but d'avoir l'ascendant sur tout les organes politiques du pays, il était donc impératif de tout faire pour lui faire plaisir, et Majimena travaillait depuis quelques années à se rapprocher de Tetsuzō. Il avait commencé son approche alors qu'il était encore humain, Tetsuzō avait donc l'habitude de communiquer avec Majimena sans passer par des intermédiaires.

Majimena avait organisé une soirée mondaine aujourd'hui même, et l'ancien ministre avait accepter de venir (garantissant ainsi la présence de plusieurs autres membres du 3ème parti politique du Japon) à la seule condition que Majimena l'accompagne d'abord faire des courses en ville, et l'aide à trouver un cadeau adapté pour l'anniversaire de sa petite-fille.
A l'aise concernant la politique, Majimena n'avait aucune idée de ce que pourrait aimer une gamine de 16 ans qui ne devait probablement déjà pas manquer de grand chose, aussi était il tendu à l'idée de ne pas réussir à impressionner le septuagénaire.

Tetsuzō Fuyushiba commençait à considérer le peu que Jack Yorukobuto lui faisait voir de ses idées comme intéressantes, il ne fallait surtout pas gâcher cela bêtement.

Intérieurement, Majimena grommelait : "Pourquoi faut-il que les politiciens s'intéressent plus aux personnes avec lesquelles ils traitent qu'à leurs idées...?"

Alors qu'ils avaient fait plusieurs magasins sans succès, et que Majimena commençait à craindre que Tetsuzō ne se désiste ce soir, ils croisèrent une superbe petite femme aux formes pulpeuses, élégamment vêtue, aux longs cheveux d'or. Jack ne l'aurait pas remarqué si le regard du député ne s'était pas bloqué sur elle ostensiblement. "Mme Fuyushiba se fait sans doute trop vieille au goût de son mari" se dit Majimena, en se félicitant intérieurement d'avoir pensé à faire inviter plusieurs fameuses jeunes mannequins pour ce soir.

Soudainement, la jeune femme, qui croulait sous le poids de nombreux sacs provenant des boutiques les plus chics de la ville, s'effondra juste devant eux. Majimena profita de l'opportunité pour engager la conversation en lui proposant une aide qu'elle accepta timidement sous le regard ravi de Tetsuzō Fuyushiba. Son visage ravissant aux lignes habilement mises en valeur par un maquillage adapté jurait avec son air épuisé et gêné.

Les deux hommes empoignèrent les différents sacs après avoir ramassé les affaires qui en étaient tombées, et se laissèrent guider jusqu'à chez elle. Majimena en profita pour se présenter, lui et son compagnon. Elle se dénommait Mme Aele. Ils ne parlèrent que de la pluie et du beau temps, mais une plaisanterie bien placée de Tetsuzō mit fin à la gène que la jolie blonde éprouvait après s'être écroulée en public pour laisser place à une discutions courtoise digne d'une femme originaire de bonne famille.

Tetsuzō Fuyushiba ne la quitta pas des yeux du trajet, mais la jeune femme ne sembla pas le remarquer, ou en tout cas ne s'en étonna pas.

Lorsqu'elle leur annonça qu'ils étaient arrivés chez elle, et qu'elle les remercia pour leur aide en leur proposant d'entrer boire un thé, Majimena lui répondit "Ce fut un plaisir pour nous de vous aider, mais malheureusement nous devons décliner votre invitation". Tetsuzō le foudroya du regard. Jack l'ignora et continua à s'adresser à la jeune femme. "La petite-fille de 16 ans de M. Fuyushiba fête son anniversaire sous peu, et nous peinons à lui trouver un cadeau, aussi devons nous retourner faire les boutiques." Majimena plongea sa main dans une poche intérieure de sa veste et en sorti un rectangle de papier cartonné-glacé aux couleurs sobres. "Cependant, j'organise une petite réception ce soir au Hilton Palace, peut être nous ferez-vous l'honneur d'être des nôtres ?" dit-il en lui tendant l'invitation.

Finalement, les deux hommes, Majimena et Tetsuzō avaient raccompagnée Elnaria jusqu'au loft qu'elle occupait avec Finlay sans même qu'elle ne le réalise.
Le trajet avait été très rapide, agrémentée d'une conversation avec Tetsuzō Fuyushiba et Majimena Yorukobuto.
Le premier homme, qui devait avoir autours de soixante-dix années, semblait d'une personne tout à fait respectable, et son contact était très agréable. Il avait de la discussion, et Elnaria s'était détendue au fil de celle-ci. Il lui était très naturel de tenir ce genre de conversation.
L'homme ne la quittait pas du regard, ce dont Elnaria ne se formalisa pas : il avait l'âge d'être son grand-père, et il était tout naturel qu'il la regarde ainsi : elle devait probablement lui rappeler ses petits-enfants, ce qui devait l'émouvoir.
Le second homme, d'une trentaine d'années, bien que très ouvert à la discussion et enclin à la partager, semblait bizarrement moins accessible à Elnaria. Son regard était vide d'émotions, elle avait du mal à voir en lui un être aimant. Il était de façade plutôt froide.
Mais Elnaria ne se fiait jamais à la première impression, et était d'ores-et-déja certaine que si elle cherchait à mieux le connaître, elle verrait qu'elle avait tort.

Elle leur proposa d'entrer boire un thé, afin de les remercier du précieux service qu'ils lui avaient rendu. Le dénommé Majimena déclina son invitation, invoquant un cadeau à trouver de toute urgence. La petite-fille de Tetsuzō fêtait ses seize ans...
Elnaria hocha simplement la tête, souriant largement. Pour ses seize ans, on lui avait offert un chat persan, et un billet d'avion pour aller visiter la France. Elle n'avait jamais eu l'occasion d'en profiter.
Elle refléchissait à un autre moyen de les remercier, lorsque le brun reprit en lui tendant une carte.
"Cependant, j'organise une petite réception ce soir au Hilton Palace, peut être nous ferez-vous l'honneur d'être des nôtres ?"
Une réception... Cela faisait tellement longtemps qu'elle n'avait pu y participer !!
Un sourire reconnaissant fendit son visage, ses yeux pétillaient.
"Je ne sais comment vous remercier de m'avoir aidée de la sorte. Quoiqu'il en soit, c'est avec plaisir, Sir Yorukobuto, que je serais présente ce soir. Quant au cadeau de votre petite-fille... J'avoue ne pas avoir d'idée précise. Pour ma part, on m'avait offert un animal et un voyage pour mes 16 ans et... J'avais été ravie de ces présents. J'hochais à nouveau la tête, souriant, et m'abaissais en une respectueuse réverence. Alors, je vous dit à ce soir, messieurs."
Monsieur Fuyushiba la gratifia d'un baise-main courtois, chose que fit également monsieur Yorukobuto.

Elnaria entra dans la résidence sans plus attendre, avec ses nombreux sacs. Elle avait hâte de pouvoir se doucher, se sustenter quelque peu car son estomac la rappelait à l'ordre, et de se reposer un peu, en attendant Finlay, pour aller à la réception.
Alors qu'elle décidait de la tenue qu'elle allait pouvoir porter, elle réalisa brutalement qu'il lui était impossible de s'y rendre avec lui : leur relation ne devait pas se vivre au grand jour.
Sa mine se fit déconfite, son regard se perdit au loin. Elle devait pourtant s'y faire, elle le savait. Et ça lui était douloureux.

Il était 18 heures, et Finlay n'était pas rentré. Elle décida de faire un saut à la réception, sans trop s'attarder, et de rentrer rapidement pour pouvoir passer du temps dans les bras de son homme. Elle avait hâte qu'il la voit dans sa tenue... C'était une préoccupation bien futile, mais elle avait besoin de sentir le regard de Finlay sur elle avec une tenue distinguée... Pour oublier, ou pour se persuader elle-même peut-être, qu'elle n'était pas qu'une trainée souillée.

Elle était vétue d'une robe noire, Dior. Le bustier de celle-ci mettait sa poitrine en valeur, se prolongait jusqu'aux hanches par une pièce en dentelle près du corps. Le bas de la robe était plus lâche, il semblait moins travaillé mais cette négligence avait pour seul but de ne pas trop charger la robe. Ce modèle était simple, mais efficace.
Elnaria avait volontairement laissé son décolleté vide de bijoux, optant simplement pour une paire de boucles d'oreilles : deux dormeuses arborant chacune une simple perle de culture parfaitement calibrée.
Ses cheveux étaient remontés en un chignon indiscipliné d'où s'échappaient quelques mèches rebelles.
Elle recouvrit ses épaules d'une étolle, ayant omis d'acheter une veste, et sortit du loft après avoir laissé un mot à Finlay pour lui signaler qu'elle ne rentrerait pas tard, et après avoir appelé un taxi.

Il était 19 heures lorsqu'elle arriva au Hilton. Elle s'avanca dans la salle de réception, saluant avec timidité les invités qui lui souriaient, cherchant du regard l'un de ses deux sauveurs de l'après-midi. Elle se saisit au passage d'une coupette de champagne, désespérant de trouver quelqu'un qu'elle connaissait.

Majimena et Tetsuzō Fuyushiba, après un salut courtois, laissèrent la jeune femme rentrer chez elle, et se dirigèrent vers les boutiques. Si l’idée d’offrir un animal ne lui plaisait pas, Tetsuzō avait été convaincu par l’idée de Mme Aele d’offrir un voyage, aussi entrèrent-ils dans une agence pour se renseigner sur les séjours touristiques organisés à l’étranger. Majimena n’avait que faire des détails du cadeau de la petite fille de Tetsuzō, il ne se mêla donc que peu du choix de la destination. Tetsuzō choisît la Chine, éternelle rivale du Japon. Puis, après quelques mondanités, les deux hommes se séparèrent pour se préparer à la soirée.

Majimena avait encore quelques détails à régler pour ce soir. Il avait en effet prévu un coup monté dans l’objectif de convaincre les personnes présente du danger du à la présence de nombreux étrangers au Japon. Jack n’avait rien de personnel à l’encontre des chasseurs de vampires, mais ils le mettaient en danger du simple fait de leur existence, aussi les voir éloignés du territoire nippon ne pouvait être qu’une bonne chose. Et puis les sensations fortes créaient des liens et son promptes à entraîner des décisions radicales et immédiates. Or plus le Japon deviendra autoritaire, plus il sera facile de s’installer à sa tête…

Une fois prêt, lavé, coiffé, et vêtu d’un costume noir faisant ressortir sa chemise rouge et surtout sa cravate blanche, Majimena se rendit au Hilton, vers 18h30, pour terminer les préparatifs et recevoir les invités, dont les premiers arrivèrent dès 18h50.
La salle était décorée des insignes du Nouveau Kōmeitō

Spoiler:

Un grand buffet était dressé, et de nombreux garçons, en tenue impeccable, attendaient stoïquement, la bouteille de champagne français à la main, qu’un des invités ait soif. Un groupe discret jouait une musique d’ambiance paisible aux tons classiques, et les gens bavardaient gaiement le verre à la main.

Jack Yorukobuto profita d’un moment de solitude pour observer la foule des gens présents. Les gens parlaient principalement des derniers événements, les meurtres en séries, l'arrivée des Forces japonaises d'autodéfense dans la ville... Tetsuzō Fuyushiba était là, vêtu d’un superbe tuxedo noir, chemise blanche et nœud papillon, dans lequel le vieil homme au visage rond semblait parfaitement à l’aise. Il était venu sans sa femme, et lorgnait (comme beaucoup d’hommes) en direction de Mme Aele, magnifique dans sa simple robe noire. Elnaria aussi semblait faire le tour de la salle du regard. Alors que Jack s’attendait à ce qu’elle pose ses yeux sur lui et vienne le rejoindre, il pu voir son regard se figer en direction de deux invités, et son visage perdre tout sourire. Intrigué, Majimena observa le duo, qui ne réalisa pas qu’il était doublement observé. Il s’agissait de Reon Kadena, une célèbre mannequin, vêtue d’une robe jaune tenant grâce à un noeud derrière sa nuque et laissant son dos nu. Elle portait de longs gants assortis, qui lui donnaient un air d’actrice des années cinquante. Elle semblait passionner un homme d’une cinquantaine d’année, au visage dur. Celui d’un homme qui n’hésite pas à user de la force pour obtenir ce qu’il veut, et qui a été amené a le faire a plusieurs reprises. Majimena essaya de se remémorer ce qu’il savait de lui.
« PDG d’une grande société japonaise. Un des principaux sponsors du Kōmeitō. Toshi… Aele. Comme Mme Aele... Un parent à elle…? »
Majimena décida de la rejoindre pour lui poser la question.

Elnaria se perdait parmis tous ces invités. Sans se départir de son sourire, elle soupira, plissa les yeux et continua de chercher du regard son hôte.
Elle surprit ainsi de nombreux hommes qui la scrutaient, mais ne s'y attarda pas. Seul le regard de Finlay lui importait.


Soudainement, elle devint livide. Son regard s'était posé sur un homme qu'elle aurait reconnu entre mille. Elle entrouvrit la bouche, cherchant à retrouver son souffle, mais c'était cause perdue : le choc était bien trop violent. IL était là.

Revoir son père un jour était la pire chose qu'elle aurait pu imaginer, d'ailleurs elle avait toujours préféré occulter cette possibilité. La simple image de cet homme, qui semblait absorbé par une douce compagnie, fit perdre à Elnaria tous ses moyens.
Elle ne parvenait pas à détacher ses yeux de cette scène, tout autours d'elle semblait avoir disparu, rien d'autre n'existait que son tortionnaire, celui qui l'avait meutrie toutes ces années. Sa coupe de champagne s'échappa de ses mains, venant s'écraser au sol. Ce fut le bruit des bris de glace qui fit sortir Elnaria de son état de choc, tremblante.
Tous les regards avaient bien entendu convergé vers elle. Elle baissa la tête, priant pour que son père ne l'apercoive pas. Son souffle était court, son coeur palpitait, la fille de monsieur Aele était en proie à une panique probablement éxagérée, mais ne pouvait rien y faire.

Elle ferma les yeux, cherchant désespérément à chasser les images de cet homme qu'elle haïssait plus que tout, cet homme qui l'avait minutieusement détruite, après avoir détruit sa mère. Elle sursauta lorsqu'un homme posa maladroitement sa main sur son épaule, se voulant chaleureux.
Elle se plongea dans les deux iris sombres de son hôte, Majimena. Il la fixait, interrogateur. Elle n'arrivait à capter que quelques un de ses mots. Allait-elle bien ? Connaissait-elle Toshi ? Y avait-il un souci ?
Elle secoua la tête, afin de remettre ses idées en place.
"Je... Je m'excuse... Elle balbutiait péniblement, son corps entier était saisi de tremblements qu'elle tentait vainement de faire cesser. Oui, j'ai juste été surprise... Mais je... Vais bien... Mr Aele est... Elle hésitait, se mordant nerveusement la lèvre inférieure. C'est un parent très éloigné, ça n'a pas d'importance.
Elnaria se força à sourire, et saisit au passage une nouvelle coupe de champagne sur le plateau que lui présentait un serveur. Tous les dégats qu'elle avait occasionnés avaient déja étés effacés.
Son corps était entièrement crispé, elle serrait le poing libre à s'en faire mal, enfoncant ses ongles dans la paume de sa main. Elle luttait pour reprendre le dessus, et retrouvait peu à peu une contenance. Sa lèvre inférieure était en sang.

Majimena l'observait toujours, il semblait dubitatif. Son explication était en effet des plus douteuses. Qu'importait. Tetsuzō arriva sur ces entre-faits, l'extirpant de cette situation difficile.
Il sembla remarquer lui aussi l'état de panique d'Elnaria, mais ne le releva et se contenta de lui proposer de sortir pour prendre l'air. Elle accepta immédiatemment, être hors de la pièce où se trouvait la source de toutes ses souffrances les plus profondes ne pouvait que lui être bénéfique.
Alors qu'ils franchissaient le seuil du balcon, accompagnés de Majimena, une main l'empoigna avec force, manquant de la faire trébucher. Elle ne put que faire face à son père. Son regard était toujours le même. Plein de haine. Il se contenta de lui adresser un sourire mauvais, qui lui glaca le sang, et de lui assener une phrase assassine.
"Toujours en vie, petite pute ? On devrait tuer les batards à la naissance... Je vais donc devoir m'en charger."
Il l'avait chuchotée, imperceptible à d'autres oreilles. Sans rajouter un seul mot, il repartit en direction de sa compagne, une belle japonaise, laissant une Elnaria effrayée, et profondément blessée.
Tetsuzō n'avait pas pu entendre le contenu de la phrase, mais il avait bien comprit qu'Elnaria avait été touchée. Il la prit par l'épaule et la fit sortir. Elle se laissait guider, tel un pantin désarticulé, une femme désabusée. Majimena n'était plus à leurs côtés, mais c'était bien la dernière des préoccupations de la jeune femme.
Une fois à l'extérieur, elle se blottit contre le vieil homme, fermant les yeux, souhaitant oublier ce qu'elle avait vu et entendu.
Mais il existe des souhaits irréalisables.

Elle venait d'être projetée des années en arrière. Tout ce chemin parcouru... Pour rien... Elle contenait ses sanglots, pensant à son compagnon qui devait l'attendre dans leur loft. Elle ne voulait qu'une chose : être avec lui, et oublier. Oublier cet homme qui remuait le couteau dans une plaie tout juste cicatrisée, qui ravivait les souvenirs les plus pénibles de son existence, qui avait su la briser en quelques secondes. Mais comment oublier ? Il était bel et bien là, et elle demeurait cette petite chose dont il disposait, faible face à sa violence, soumise à cet homme, et ses deux frères. Elle n'était rien. Une souillure à peine sortie de la rue par un homme qu'elle ne méritait pas, une putain d'aucune utilité si ce n'était satisfaire ses frères, défouler son père. Non, elle n'était rien.

Majimena arriva à la hauteur d’Elnaria juste à temps pour recevoir quelques gouttes de champagne sur ses chaussures lorsque la coupe de la jeune fille se brisa sur le sol marbré de la salle de réception. La belle blonde semblait perdue dans ses pensées au point de perdre contact avec le moment présent. Il posa la main sur son épaule et l’attira quelques mètres plus loin pour l’éloigner des bouts de verres et faciliter ainsi le travail de l’efficace personnel de l’hôtel. « Vous allez bien ? ». Elle ne semblait pas l’entendre. « Est-ce que Toshi Aele est un parent à vous ? ». Elle tressailli au prononcé du nom du quinquagénaire. Elle le connaissait donc. « Quelque chose ne va pas ? ». Elnaria commençait à reprendre ses esprits. Elle balbutia une réponse. « C'est un parent très éloigné, ça n'a pas d'importance. ». Majimena n’en croyait pas un mot. C’était peut être un parent éloigné, mais il été suffisamment important pour troubler la jeune femme par sa simple présence.

Elnaria s’était mordu la lèvre, et une goutte de sang écarlate coula sur son menton, bientôt suivie par d’autres. Les yeux de Majimena pétillèrent. Il ressenti la faim, ce sentiment de désir et de manque à combler, qu’il avait connu après avoir choisi de rejoindre le monde des non-morts. Il avait envie de sang. Il avait envie de boire son sang à elle. Elle semblait vulnérable et brisée, tout en étant une femme magnifique : une proie de choix. Tetsuzō Fuyushiba les avait rejoins, et il proposa de sortir prendre l’air. « Oui, prendre l’air. Sortir. Boire son sang. » pensa Majimena en les menant vers l’un des balcons du Hilton.

Aveuglé par sa faim et son désir, Majimena ne vit pas venir Toshi Aele, qui les stoppa net en agrippant Elnaria. Le choc, bien que faible, suffit à le ramener sur terre. Il réalisa aussitôt qu’il n’était pas envisageable de la mordre ce soir, et décida, honteux, de mieux contenir sa faim. Il laissa ces gens sur le seuil du balcon, et retourna dans la salle principale picorer quelques sushi en réfléchissant à ce qui venait de se passer. Le poisson cru lui semblait fade. Il voulait du sang. Du sang humain.
Jack observa les alentours, pour mieux prendre du recul. Reon Kadena faisait le bonheur de jeunes hommes politiques. Toshi Aele s’était allumé une cigarette, et il discutait maintenant avec quelqu’un via son cellulaire, tout en insultant bruyamment les employés de l’hôtel qui tentaient de lui faire comprendre qu’il était interdit de fumer dans cette pièce. Mais le regard du quinquagénaire était fixé sur Elnaria, qu’il suivi des yeux alors qu’elle et Tetsuzō Fuyushiba quittaient le balcon pour se diriger vers l’entrée de l’hôtel, sans doute dans le but de faire un tour pour se dégourdir les jambes et s’éloigner de la musique, du bruit, et des autres invités qui profitaient du balcon.

Jack tenta d’aborder Toshi, mais ce dernier n’était pas d’humeur bavarde, aussi Majimena se ravisa rapidement. Il regarda sa montre. 19h45. La « surprise » était prévue pour le milieu de soirée. Il avait du temps. Mais sa soif de sang lui montait à la tête. Il ne cessait de revoir en boucle les lèvres pulpeuses de la jeune femme, maculées de sang…

Jack n’était pas un chasseur. Lorsqu’il avait faim, il allait voir un des ses contactes Yakuzas, et demandait à être laissé seul dans une de leurs salles de torture avec un homme qu’ils avaient capturé dans un gang adverse. Il buvait son sang, et lui infligeait d’autres sévices, non par plaisir mais pour ne pas laisser de traces. Cela lui donnait en bonus la réputation d’être un dur aux yeux de la mafia.
Mais la faim n’avait jamais été aussi violente. « J’espère que ça ne va pas être encore pire avec le temps… ». Majimena n’avait aucun remord à avoir pactisé avec le diable, mais il lui été difficile d’accepter qu’il ne contrôlait pas son propre corps, ses propres émotions… Il fini par accepter que les vampires étaient des chasseurs, et qu’il devait donc faire comme eux. Armé de son seul pistolet de poche, il quitta l’hôtel par une porte de service et commença à déambuler dans les rues de Tokyo. Il y avait des gens, mais il lui serait dur d’attirer par la force une personne isolée dans un lieu à l’abri des regards. Sa faim brouillait sa capacité de réflexion. Il continua de marcher, sans vraiment regarder où il allait.

Il arriva dans une ruelle sombre qui lui semblait parfaite jusqu’à ce qu’il entende des bruits. Il s’approcha de leur origine pour découvrir une scène inattendue. Il lui fallu plusieurs secondes pour comprendre ce qu’il voyait. Tout d’abord, il reconnu Elnaria, au sol, rampant sur le dos pour s’éloigner tout en observant les autres protagonistes. Sa belle robe noire était en partie déchirée, et été remontée jusqu’à ses hanches, tandis que de la lingerie fine de grande marque gisaient à ses pieds. Sur son visage, du sang été dilué par l’eau salée de ses larmes. A côté d’elle se trouvait Tetsuzō Fuyushiba, debout, le pantalon en partie baissé. Mais il n’était pas tourné vers elle. Il lui tournais le dos, et observait, le visage stoïque mais le regard horrifié, une troisième personne. Un grand homme, aux cheveux roux, donc le visage trahissait une origine à la fois japonaise et… probablement russe. Il portait un kimono dans la plus pure tradition nippone. Ses yeux bleus fixaient Tetsuzō en retour. Il fît un pas en arrière, et un mouvement brusque du bras. Jack réalisa alors qu’il venait de retirer du ventre de l’ancien ministre un tanto sans garde, petit poignard traditionnellement porté par les samouraïs en complément du sabre long, le katana et du sabre court, le wakizashi. Le septuagénaire tomba à genoux, puis s’effondra face contre sol, baignant dans son propre sang. Majimena remarqua alors que le grand roux était lui-même entaillé au bras droit. Peut être Tetsuzō s’était-il défendu. Cette pensée ne traversa pas l’esprit de Majimena, qui était trop absorbé par la vision du sang pour remarquer le second couteau qui gisait quelques mètres plus loin, près d’Elnaria.

Les crocs de Jack se développèrent, et dans son esprit, il était déjà en train de se jeter sur l’homme au kimono pour satisfaire sa soif.

Les bras de Tetsuzō enserraient Elnaria dans une étreinte rassurante, lui permettant peu à peu de calmer son esprit et par la même occasion ses tremblements.
Elle fit un pas en arrière, et s'abaissa en une profonde révérence.
"Sir Fuyushiba, je vous remercie. Je suis confuse, mais comme vous l'avez remarqué, je ne suis pas au meilleur de ma forme. Pour tout vous avouer, la présence d'une certaine personne en ces lieux m'est insupportable. C'est pourquoi je préfère me retirer. Elle soupira, et arbora une mine désolée. Vous m'excuserez auprès de sir Yorukobuto, je vous prie."
Elle sourit au vieil homme, prête à partir, lorsqu'il lui saisit le bras avec douceur, lui proposant de la raccompagner.
"C'est très aimable à vous, mais la réception débute juste, et monsieur Yorukobuto n'aimerait pas me voir dérober ses invités. En revanche, le temps que je quitte l'hôtel et que j'appelle un taxi, votre compagnie me serait fort appréciable."
Ils quittèrent ainsi le Hilton. Elnaria tenait au creux de la main le cellulaire que lui avait confié Finlay. Mais elle n'eut pas à l'utiliser, puisque Tetsuzo se chargea d'appeler un taxi, s'éloignant pour cela de quelques mètres.
"Madame Aele, votre carrosse est en route. Je lui ai indiqué une rue qui se trouve juste à côté, afin de faciliter son passage. Il y a tellement de véhicules devant cet hôtel... Il lui prit le bras, ne laissant pas de place au refus. Je vous accompagne. Une belle femme comme vous ne peut rester seule."
Elle baissa la tête, acquiescant, génée par tant de sollicitude, et se laissa guider.

Ils marchèrent quelques minutes qui parurent une éternité à la jeune métisse, épuisée moralement.
Elle n'échangea aucun mot avec l'ex-ministre, s'imaginant déja de retour dans leur cocon, à Finlay et elle. Elle pourrait simplement se blottir contre lui, et ne plus penser à cette affreuse soirée.
Le vieil homme la stoppa alors. Elle leva la tête, et haussa aussitôt un sourcil, septique.
"Le taxi va venir... Sa voix tremblait légèrement. Là ?"
Celui qui jusque là lui rappelait son grand-père passa la main dans ses cheveux, souriant.
"Et bien en fait... Je pense que nous devrions juste profiter du moment présent, Elnaria... Si vous permettez que je vous appelle ainsi."
Elle comprit ce qu'il insinuait sitôt qu'il laissa glisser sa main le long de sa hanche, partant à la recherche de ses courbes. Elle l'arrêta aussitôt, le repoussant sans ménagement.
Comment avait-elle pu se leurrer à ce point ? Après des années dans la rue, elle était toujours aussi naïve, c'était navrant. Elle commenca à sortir de la ruelle, où ne siégait aucune lumière, lorsque elle fut retenue par Tetsuzo. Il lui saisit le bras, la retournant face à lui, aggrippa violemment ses cheveux, défaisant son chignon, et posa ses lèvres contre les siennes, tentant d'en forcer le barrage.
Elnaria tenta de se dégager de cette étreinte qui l'écoeurait au plus haut point, mais l'homme la maintenait fermement. Ses pulsions avait pris le dessus sur le respect dont il avait fait preuve jusque là.
"Arrétez ! Elle hurlait, pleurait de désespoir, tandis que la main droite de Sir Fuyushiba s'était saisie de l'un de ses seins à travers le tissu de sa robe. Je vous en prie Tetsuzo, laissez-moi. Elle le suppliait, dans un murmure à peine audible."
Sans même prendre la peine de lui répondre, il la projetta au sol, et vint la bloquer du poids de son corps, après avoir ouvert son pantalon à pince.
A partir de ce moment, tout s'enchaina sans qu'Elnaria ne comprenne réellement. Elle pleurait de douleur, de honte; Se débattait, mais au fond d'elle, elle se savait perdue. Elle pensa à Finlay qui devait l'attendre. Elle ne pourrait plus jamais rentrer après ça.
Elle avait mal, terriblement mal. Elle ne voulait pas qu'il la prenne, que tout recommence. De toute son âme, elle criait, pour que quelqu'un vienne l'aider. Il avait remonté sa robe sur ses hanches. De tout son coeur, elle priait, pour que tout s'arrête. Il avait retiré ses sous-vêtements.
Elle était prête à tout pour que cela cesse. Alors, lorsque de la veste de l'ex-ministre tomba un couteau, elle ne refléchit pas une demi-seconde, s'en saisit et frappa l'homme avec la lame.
Mais ça ne lui vaudrait pas son salut... Elle le réalisa immédiatemment : elle n'avait pas su viser, pas su blesser.
La réaction de Tetsuzo ne se fit pas attendre.
"Espèce de folle ! Il lui assena un coup de poing, la blessant à la tempe, lui arracha le couteau."
Elle ferma les yeux, sanglotante. Le sang chaud coulait le long de sa joue. Elle ne pouvait plus rien faire que d'autre que subir, et souffrir.





Un raclement de gorge.
Elle rouvrit les yeux lorsqu'elle sentit subitement le ministre se relever, avant même d'avoir débuté sa basse besogne. Qui venait de la sauver ?
Elle se redressa sur ses coudes, observant son sauveur. Mais sa joie ne fut que de courte durée. Igor, son frère, se tenait dans son éternel kimono face au vieil homme qui semblait vouloir fuir. Elle ramassa le couteau jeté au sol par Tetsuzo, et se jeta sans refléchir une seconde sur son ainé, le blessant au bras.
Il maîtrisait parfaitement les arts martiaux, et il ne lui fut pas difficile de la renvoyer au sol immédiatemment, jurant contre cette trainée de batarde.
Il n'avait pas changé. Il avait autant puisé ses origines du côté de leur mère que de celui de Toshi. Ses yeux bleus transperçants jaugaient monsieur Fuyushiba. En une fraction de seconde, il s'était rapproché de lui, sortant son tanto, et l'avait enfoncé dans la chair de l'homme.
Elnaria ne cherchait plus à se sauver. A quoi bon ? Elle avait l'impression de vivre la scène de l'extérieur, ne réalisant toujours pas que c'était bien réel.
Elle ferma les yeux, attendant à son tour sa fin.



"Qui êtes-vous ? La voix glaciale de son frère claqua dans l'air. Dégagez."
Elnaria hoqueta de surprise lorsqu'elle aperçut, face à Igor, Majimena. Il souriait, un sourire de prédateur qui vient de trouver une bonne proie. Elle comprit alors immédiatemment. Ses crocs, ses yeux flamboyants... Lui aussi était un vampire.
Avant même qu'Igor n'ait pu tenter quoi que ce soit, Majimena s'était jeté sur lui. Le vampire ne put éviter la lame tranchante, qui le blessa à l'épaule. Mais il ne semblait pas en avoir souffert le moins du monde, et sitôt l'humain saisit, il planta ses crocs dans sa gorge.
Il n'avait eu besoin que de quelques secondes pour l'immobiliser, et il le buvait maintenant avec frénésie.
Elnaria, sanglotant toujours, se jeta sur son sac, cherchant la carte de Finlay.
Elle composa son numéro avec difficulté tant elle tremblait. Elle tomba sur un répondeur automatique, et laissa un message très embrouillé, où elle le suppliait de venir dans une rue, vers le Hilton. Quoi de plus précis ??

Peu de temps après, Majimena avait fini son "repas" et vint rejoindre la jeune fille, qui était restée blottie dans un coin de la ruelle, et pleurait tout son soul. Pourquoi s'acharnait-on à détruire ce semblant de bonheur qu'elle venait juste d'ébaucher ?
Elle tremblait de tous ses membres, dans un état de choc profond.

L’homme au kimono remarqua Majimena qui l’observait avec gourmandise. Il le prenait sans doute pour un fou, ce petit gringalet en costume bon marché qui semblait vouloir jouer aux sauveurs dans un combat qui n’était pas le sien. Le rouquin n’était cependant pas un débutant. Il resta calme, les muscles détendus pour rester souple, prêt à se déplacer vite et bien. « Qui êtes-vous ? » demanda-t-il. Majimena ne l’entendait pas. S’il avait été un humain, il n’aurait entendu que le bruit de son propre cœur battant a toute vitesse. Devenu vampire, il n’entendait rien. Le silence était total. Majimena voyait les lèvres de l’homme bouger, rien de plus.
Puis, avec cet état d’esprit d’un homme qui, face à l’objet de ses fantasmes, réussi avec peine à quitter le monde douillet de l’imaginaire pour réaliser ses rêves, Majimena bougea. Le métis le vit venir et, d’un très beau coup direct, planta son tanto dans son épaule droite. La violence du coup déboîta l’épaule de Jack, mais celui-ci ne réalisait même pas qu’il était blessé. L’homme au kimono fut surpris par la vitesse et la force du gringalet qu’il avait comme adversaire. Le combat n’avait duré que quelques secondes ; Yorukobuto buvait maintenant avec avidité le sang de la famille Aele.
Cela lui pris plusieurs minutes. Boire l’enivrait, et il n’avait aucune conscience de ce qui se passait autour de lui. Une fois son forfait accomplit, au contraire, il se sentit puissant ; il avait l’impression d’avoir tout pouvoir, tel un drogué convaincu qu’il comprend mieux le monde après une dose.

Il redescendit alors durement sur terre : il était dans une ruelle sombre avec deux cadavres, un ex-ministre passant régulièrement à la télévision et un homme mordu au cou et vidé de son sang, et avec une jeune femme blessée et à moitié déshabillée qui sanglotait à côté d’un téléphone portable. « Un cellulaire !? Merde ! » cria intérieurement Majimena. Il retira le tanto qui été resté planté dans son épaule, et réalisa que cela ne lui causait aucune douleur. La blessure ne saignait pas. C’était la première fois qu’il était blessé depuis son passage dans l'autre monde. La blessure commençait déjà à se refermer, mais il n’en allait pas de même pour la déchirure de son costume, qui été taché du sang pourpre de sa victime. Il se rapprocha d’Elnaria et s’accroupi à ses côtés, lui murmurant des mots rassurants : « Tout va bien », « C’est fini »…

La jeune femme était traumatisée. Jack se demandait surtout si elle avait eu l’occasion de le voir boire le sang du métis roux. Dans le doute, mieux valait considérer que oui et se débarrasser d’elle au plus vite. Mais d’abord, lui demander si elle avait appelé quelqu’un. Elle ne l’écoutait qu’à moitié. « Il va venir, il viendra pour moi… » murmurait-elle en sanglotant. Mais qui ‘il’ ? Majimena ramassa le téléphone et constata qu’un appel avait bien été passé il y a peu. C’est alors qu’il tomba sur la carte de visite. ‘Finlay MacRory – Détective’. Le numéro composé correspondait. « Un détective. Manquait plus que ça… ». Il fallait effacer les traces. Et vite. Que faire de la jeune fille ? Elle n’avait aucune utilité, mais elle seule savait ce qu’elle avait bien pu dire à son interlocuteur. S’il retrouvait le cadavre d’une amie, un détective ne se contenterait pas de classer l’affaire. Et avec la mort de Tetsuzō, difficile de ne pas faire le lien avec Majimena. Il y avait trop de témoins à la soirée. Majimena décida qu’il avait encore besoin d’elle vivante, le temps de régler cette histoire. Il l’attacha et la bâillonna avec la ceinture du kimono du grand roux pour ne pas qu’elle s’échappe ou n'attire l'attention. L’assommer eut été plus sûr, mais moins pratique et moins discret dans le cadre des déplacements à venir. Puis Majimena commença à fouiller dans des poubelles environnantes pour ramasser un bout de tuyau et une bouteille en plastique vide. Il quitta discrètement la ruelle et se dirigea vers une voiture dont l’accès au réservoir n’était pas éclairé par les lampadaires, et en siphonna un litre et demi de carburant, dans le but de faire brûler les deux cadavres. Jack ne fumait pas, il n’avait donc pas d’allumettes sur lui, mais décida qu'il utiliserait son pistolet de poche (un North American Arms modèle ‘Guardian 32’, à 6 coups en 7.65mm Browning, long de 111mm, haut de 82mm, et épais de 21.6mm, pour un poids chargé de 430g). Cela ferait du bruit, mais le temps que quelqu’un intervienne il serait trop tard.

Alors qu’il retournait dans la ruelle où il avait laissé Elnaria Aele, serrant la bouteille de combustible qu’il transportait, il se rendit compte qu’elle n’était plus seule.

Majimena la rassura, la baillona, l'attacha. Ou peut-être dans l'ordre inverse. Ca n'avait aucune sorte d'importance. Elnaria ne se débattit pas. Ne protesta pas. D'ailleurs, s'était-elle rendu compte de ce qu'il lui arrivait ? Son regard vide laissait supposer que ce n'était pas le cas.
Le sang coagulait sur sa tempe, la jeune femme était à la frontière de l'inconscience. Sa robe Dior était un lambeau couvrant à peine sa poitrine. Ses larmes avaient cessé de couler. Elle remarqua à peine le départ de l'homme qui l'avait ainsi baillonée.
Elle fixait le corps sans vie de son frère. Il était mort... Et elle allait le rejoindre. D'ailleurs, pourquoi Majimena l'avait attachée ? Son frère la poursuivrait en Enfer. Pourquoi n'avait-elle pas simplement attendu Finlay chez eux ? Etait-ce son père qui avait envoyé Igor ici ? Pourquoi tout se faisait si sombre autours d'elle ? Qui était cet homme qui s'approchait d'elle ? La même silhouette que Finlay... Elle déraisonnait. Il valait mieux qu'elle s'endorme.
Elnaria sombra, son corps adossé à un mur chuta sur le côté. La dernière chose qu'elle entendit fut la voix de son aimé. Etait-ce ça, la fameuse histoire du tunnel au bout duquel nous attende tous ceux que nous aimons ?

Je me regardais de haut en bas. Ma garde-robe en avait pris un sacré coup. Je me devais de rentrer. Sur le chemin du retour, je n'arrêtais pas de me creuser la tête afin de trouver une réponse tangible pour expliquer mon accoutrement à Elnaria. Mais c'était se moquer d'elle, et je ne le voulais pas. Je lui devais la vérité. Je lui devais.

Le voyage du retour me parut duré une éternité. J'entrais dans le loft, conditionné à recevoir une pléiade de questions sans compter la découverte du visage défigurée par l'inquiétude de ma femme. Je fus désappointé de trouver l'appartement vide. Cependant l'odeur qui règnait à l'intérieur était d'une douceur incomparable et suffit à me rasséréner. J'étais chez moi. Jamais je ne m'étais senti aussi bien. Sans perdre de temps à tergiverser sur le pourquoi de son abscence, je partis me laver. Une fois toute cette souillure désintégrée par l'eau purificatrice, j'entrepris de revêtir un autre costume plus adapté à ma condition d'homme de vertu. Hum. J'optais donc pour un costume trois pièces d'un blanc immaculé, une chemise noire, ainsi qu'une cravate tout aussi sombre. Le chapeau blanc à l'encolure noire vint mettre la dernière touche de raffinement à mon élégance naturelle. Je rangeais mon manteau en kevlar dans la penderie. Le reste de mes anciennes affaires finiront dans le compacteur, pour finir brûler. Je ne devais laisser aucune trace.

Je me lançais ensuite dans la préparation d'un petit dîner aux chandelles: un amour de saumon en papillote. Je venais de réunir les tomates cerises, les champignons de Paris et les brins d'aneth, en attendant patiemment la fin de la cuisson de mes deux pavés de saumon lorsque mon regard fut attiré par un morceau de papier sur la commode du salon. En une seconde, je venais de couper les tomates en deux, tout en lisant le petit mot. Je m'arrêtais dans ma préparation. Je me lavais les mains et relut le message une seconde fois. Et dire que je faisais la cuisine en costume Armani. Elnaria était donc partie à une réception. En quel honneur ? Qui avait-il pu avoir l'audace de l'inviter. Je réfrénais aussitôt ma jalousie. Elle était libre de faire ce qu'elle voulait. Au moins, elle ne reviendrait pas les mains pleine de sang. Je déposais le bout de papier sur le mini-bar et retournais à mon occupation.

Vingt minutes plus tard, le four émit un petit bip sonore me signalant que mes pavés étaient prêts. Je les sortis du four et contempla mon oeuvre. A en juger par la photo du site internet, j'avais réussi mon plat à la perfection. J'étais digne d'un grand chef. Après tout c'était la première fois que je m'essayais à ce genre de divertissement. Il était presque 20h, Elnaria ne devait plus tarder. Je fis une petite présentation toute personnelle à la disposition de mon plat dans l'assiette. Un zest d'huile d'olive et de citron apportèrent la dernière touche à ce repas gastronomique. Je débouchais ensuite une bouteille de champagne, le millésime que ma douce préférait puis m'installai sur le canapé en attendant sa venue. 20h10, toujours personne. 20h15, même topo. Je commençais à m'inquiéter. Je fouillais la poche intérieure de ma veste. Mon portable n'y était pas. Je l'avais oublié dans l'autre veste. Lorsque je le pris dans les mains, je vis qu'il y avait un appel manqué. Elnaria. Bravo Finlay ! Bien la peine de lui offrir un cellulaire. Avec avidité je me jetais sur le téléphone pour entendre sa voix.

Mes traits se décomposèrent à l'instant où je l'entendis. Ma main se crispa sur le combiné. Je dus me contrôler pour ne pas le briser. Elle était en danger. Ma femme était en danger ! Hilton, ruelle non loin...C'était suffisant. Son odeur était tellement imprégnée en moi que je n'aurais aucun mal à la pister. Je pris ma veste noire, cadeau de Denver. Cette journée était marqué sous le sceau du sang.
Je parcourus les mètres, les kilomètres, les engloutissant à une vitesse folle, qui me séparaient de Elnaria. Je priais pour qu'il ne lui soit rien arrivé. Je redoutais le pire pourtant. Pas elle. Pas elle ! Le magnifique et demesuré palace se découpait à l'horizon. Il surplombait la ville et dardait son orgueil à perte de vue. Je m'arrêtais devant, surprenant certains convives de ma soudaine apparition. Je humais l'air à la recherche de la fragrance de ma douce. Merde ! Il y en a beaucoup trop ! Je dus me concentrer pour parvenir à sentir quelque chose qui lui ressemblait mais cela restait trop vague pour la situer. Elle est sortie de l'hôtel. Finlay concentres-toi. Je cherchais du regard, l'endroit où la plupart des invités demandaient un taxi. Je fis quelques pas dans une direction. La fragrance se fit plus nette. J'étais sur la bonne voie. Je reniflais l'air, comme un chien l'aurait fait. Je l'ai ! Oui c'était elle. Son odeur. Je me mis à marcher d'un pas plus sûr et plus cadencé. Je vis un homme quitter une ruelle avec un tuyau et une bouteille en plastique. Ne me dites pas que...D'un pas, je me retrouvais dans la ruelle. Mon souffle, si tant est que j'en eus un, fût coupé. La vision que j'avais sous les yeux explosa en mon for intérieur. Un déluge de haine, de culpabilité me submergea. Je m'avançais d'elle à pas feutré, découvrant son visage, ses blessures. Mon poing se serra. Ma mâchoire se crispa. J'allais redevenir le vampire, le tueur, le même qui fit couler le sang cet après-midi. Je me penchais à sa hauteur. Elle avait une blessure à la tempe. De nombreux hématomes, des griffures. Sa robe était en lambeaux. Alors cet homme voulait abuser d'elle...Vil créature ! C'est moi qui vais abuser de ton corps et crois-moi je vais te faire hurler comme jamais misérable enflure ! Ma main caressa son visage. Je déposais un baiser sur son front, lui susurrant à l'oreille:

" Elnaria. C'est moi ma douce. Pardonnes-moi. Tout ira bien à présent. "

Je relevais un pan de sa robe et cachait sa poitrine à demi-nue. J'ôtais le baillon de sa bouche et lui détachais les mains avec douceur. Je ne fis même pas attention au cadavre non loin. Rien d'autre n'avait d'importance à mes yeux. Alors que j'allais la prendre dans mes bras et l'emporter loin de ce cauchemar, le croque-mitaine arriva. Il fut surpris de me trouver à son chevet et je me délectais de sa stupeur. Avant même qu'il ne put esquisser le moindre geste, et sans me soucier de rien, la protection de ma femme mis à part, ma colère prit le dessus. Ma main avait saisi le canon scié et mon doigt avait pressé la détente.

Dans l’obscurité de la ruelle, la silhouette claire de l’homme au costume blanc à genoux près d’Elnaria semblait être celle d’un ange descendu du ciel pour rejoindre sa dulcinée. Mais l’homme n’avait rien d’angélique, et avant que Majimena n’ait eu le temps de réagir, un fusil de chasse à canons juxtaposés et sciés était déjà braqué sur lui. Dans un grand fracas, la décharge de chevrotine en acier s’enfonça dans le ventre de Jack, transperçant au passage la bouteille de carburant qui se répandit sur le sol. La douleur surpris Majimena. Ce dernier ne s’y attendait pas. Après son expérience avec le tanto, il était convaincu qu’il ne ressentirait plus cette sensation, mais il se rendit vite compte qu’une fois la faim apaisée son corps reprenait une résistance normale. Le calibre 12, destiné à la chasse au petit gibier, n’avait qu’un faible pouvoir de perforation, surtout tiré depuis un canon court, mais l’effet de choc projeta Majimena au sol, à l’entrée de la ruelle. La douleur lui donna l’énergie de bouger, aussi se mit-il à couvert derrière un mur au croisement entre la ruelle et la rue principale, se déplaçant à quatre pattes à la vitesse d’un chien fuyant un loup. L'homme en blanc fut surpris de voir Jack se relever. Une deuxième déflagration suivie alors que ce dernier se mettait à couvert, mais elle ne toucha que sa semelle gauche

Tout en sortant son Guardian 32, Majimena réfléchit à ce qu’il venait d’apercevoir. L’homme en blanc avait dégainé son arme à une vitesse inhumaine, et le recul du calibre 12, dont le choc laisse normalement un bleu à l’épaule du tireur tenant à deux mains un fusil de 3 kilos, n’avait même pas fait broncher l’homme qui tirait à une main avec une arme allégée. « Un vampire ? ». Elnaria devait avoir été maudite à la naissance pour attirer à elle en une nuit un violeur, un tueur et deux vampires. Jack décida que ce combat n’était pas à sa hauteur, et commença à s’éloigner. Il avait déjà du mal à affronter un humain…
Mais il y avait le problème des traces. S’il laissait là les deux cadavres, il lui serrait difficile de ne pas être impliqué. Il lui faudrait pour cela corrompre tout les rouage de l’administration policière de la capitale, et cela ne s’improvisait pas… Majimena pris alors le parti de contacter les yakuzas. La vision d’un cadavre mordu au cou et vidé de sang les interpellerait, mais à ce stade, c’était un mal nécessaire. Majimena prétendrait avoir réussi à faire fuir un vampire, et ils le respecteraient pour ça.
Il en profiterait aussi pour faire décaler la surprise d’une heure.


Agrippant son téléphone portable de sa main libre, Majimena se mis en route pour chez lui. Il était impensable de retourner à la soirée vêtu de lambeaux, c’était déjà un miracle si les passant ne se retournent pas dans la rue pour l’observer, dans son costume déchiré et taché de sang, le pistolet à la main. Il décida de remettre l’arme en poche.
Jack pressa le pas. Et espéra que le sauveur d’Elnaria préférerait rester près de la jeune femme plutôt que de le poursuivre.
Il n’avait aucune honte à fuir. Epictète avait dit un jour « Parmi les choses qui existent, certaines sont à notre portée, d’autres non. Tu peux être invaincu, si jamais tu n’engages de lutte où la victoire ne soit pas à ta portée ». Cette victoire là n’était pas à sa portée.
Majimena rentrerait chez lui après avoir survécu à un coup de tanto et une décharge de calibre 12. Être un vampire avait indéniablement des avantages.

Les deux détonations ne firent qu'accentuer les tremblements du corps d'Elnaria.
Bien qu'inconsciente, elle se débattait comme si sa vie en dépendait, gémissant, murmurant les prénoms de son frère, suppliant sa nourrice, Anja, de venir l'aider.

Une ou deux minutes à peine avaient dû passer, lorsque Elnaria sortit de sa stupeur, dans un sursaut, s'aggrippant à tout ce qui lui était à portée de main. Rien n'apaiserait jamais cette douleur qui lui transpercait le coeur, c'était impossible.
Les souvenirs avaient refaits surface -avaient-ils d'ailleurs déja été enterrés ?-, plus violents que jamais.
La tentative de viol, la ré-apparition de son père et d'Igor, ces deux meurtres, ses blessures... Tout amenait la jeune femme à délirer, s'agitant, pleurant. Elle tenta de se relever, mais son corps, bien trop faible, retomba aussitôt mollement, et elle vint se taper l'arrière du crâne contre le mur. Un homme s'était précipité pour amortir sa chute. Elle se crispa, terrorisée. Finlay ?
Elle devait fuir. Fuir loin de Finlay pour ne pas que lui aussi se fasse tuer. Fuir cette vision cauchemardesque qui s'étendait devant ses yeux. Ces deux corps, sans vie; les yeux remplis de terreur du vieil homme; son frère, baignant dans son sang. Tout ça par sa faute. Repoussant le seul qui ait jamais compté, elle rampa jusqu'au cadavre d'Igor, lui saisit la main.
"Pardon, Igor... Pardon... Vous aviez raison... Tout est ma faute."
Non, elle n'éprouvait aucun remord envers son tortionnaire. Mais elle les croyait, à présent, toutes ces paroles... Elle semait le mal autours d'elle.
Les mots résonnaient dans sa tête. Trainée.
Elle était secouée de sanglots. Sans cesser de fixer le corps de son frère, elle s'adressa dans un murmure presque inaudible à l'homme qu'elle aimait.
"Partez, Finlay. Je vous en supplie, laissez-moi... Oubliez tout, Sa voix se brisa, Je vous aime."
Elle ne supporterait pas qu'il lui arrive quelque chose par sa faute.
Salope. Batarde. Si seulement elle avait pu crever.

Le croque-mitaine fut projeté violemment en arrière. Il s'étala de tout son long sur le bitume. Alors que je croyais son compte réglé, il se releva. Cherchant à me fuir, il s'éclipsa derrière le mur de la ruelle. Un vampire ? Comment n'ais-je pu le remarquer plus tôt ? Mon esprit était-il si obnubilé par la vision ensanglanté de Elnaria ? Qu'importe, l'homme en noir était toujours en vie et c'était impardonnable. Mon regard se détourna de la ruelle et se posa sur Elnaria. Elle reposait, dos au mur, dans une quiétude qui, dans d'autres circonstances, m'aurait touché. Je constatais sa nouvelle robe, déchiquetée, à la senteur si particulière qui s'en émanait. Ainsi donc, elle avait fait ce que je lui avais suggéré. S'acheter une garde-robe digne d'elle. Un violent accès de rage m'emplit de nouveau. La voir, aussi fragile, le visage tuméfié, les habits en lambeaux, me fit l'effet d'une bombe. J'appuyais une seconde fois sur la détente. Le fusil cracha la poudre avec véhémence mais le plomb se ficha dans la pierre. L'homme en noir en profita pour déguerpir aussi sec. J'aurais voulu le poursuivre, le voir ramper comme un pleutre. J'aurais voulu le faire souffrir à n'en plus finir, lui arracher les yeux, la langue, le priver de tout avant de lui arracher la tête de mes mains. J'aurais voulu le voir mourir sous mon regard inquisiteur. Mais je ne pouvais m'y résoudre. Pas tant qu'elle serait là. Je me devais, avant toute chose, de l'éloigner de cet endroit, la mettre en sûreté loin de ce monde perversifié, la protéger comme j'aurais dû le faire plus tôt. En étais-je seulement capable ? Je commençais à en douter. Je n'étais pas le mieux placé...

Alors que je rangeais mon arme, je vis Elnaria ramper en direction du cadavre étendu dans la ruelle. Lentement, elle étendit le bras et lui saisit la main. Elle balbutia quelques mots. Qu'entendait-elle par son plaidoyer vis-à-vis de cet homme ? Il se prénommait Igor. Qui était-il à ces yeux ? Je contemplais cette vision macabre et pris soudainement conscience d'une chose. Finalement je ne la connaissais pas. Elle n'était qu'une inconnue. Une inconnue pour qui je risquais mon éternité, ma condition. Une inconnue qui me faisait ressentir des choses jusque là, totalement perdues, égarées. Une inconnue que je désirais plus que tout connaître, aimer et chérir. L'amour était-il aussi dénué de raison ? Se pouvait-il d'être aussi fou, immature et possessif ?

" Partez Finlay. Je vous en supplie, laissez-moi...Oubliez tout. Je vous aime. "

Ces mots m'étaient-ils adressés ? Ces paroles cinglantes dites avec la plus harmonieuse des voix. J'accusais le coup. Pourquoi me disait-elle cela ? Pourquoi me repousser ? Je n'arrivais pas à comprendre le fonctionnement de sa pensée, à saisir les rouages de sa logique implacable. Avait-elle peur de me perdre lors d'une escarmouche de la sorte ? Je suis un Vampire ! Qui plus est un très vieux, je ne risque rien. Il me fallait la rassurer. Lui prouver que je pourrais être le bouclier qui parerait à toutes les éventualités de la vie. Que je serais celui qui la protégerait de tout, même de la mort. Elle a raison, va-t-en ! Cette petite voix montait doucement en écho dans mon esprit. Une petite partie de mon être, la raison à n'en pas douter, bousculait mes sentiments. Elle m'indiquait la meilleure sortie de secours. Celle qui m'éloignerait d'elle, et qui sans doute, la préserverait de toute cette merde...Après tout, elle avait plongée dans ce monde par ma faute. Si je partais maintenant, je lui sauvais la vie. Mais moi, qui me sauverais ? Tu mourras comme tu aurais déjà dû l'être il y a de cela sept siècles. La réponse était clair, concise, sans équivoque. J'avais là l'occasion de pouvoir enfin quitter ce monde en perdition. Quelque soit l'endroit où je reposerais par la suite, quelque soit les limbes que je devrais affronter. Elle était ma porte de sortie.

Je continuais de la regarder, mon âme torturée se battait pour sa survie. Je n'arrivais pas détourner mes prunelles de cet être si doux, si grâcile. Elle était Beauté ! Elle était Lumière ! Et elle m'aveuglait de minutes en minutes sans que j'en sois jamais rassasié. Je ne pouvais pas partir. Je devais lui tenir tête. Je devais écouter mon coeur, comme je ne l'avais plus fait depuis des décennies. Mon corps se mit à bouger sans que je lui en intime l'ordre. Mes bras l'enlacèrent, la roulèrent contre mon torse. Puis je la soulevais, aussi facilement que l'air soulève une plume.

" Je ne vous abandonnerais pas Elnaria. Je ne crains rien car rien ne peut me vaincre. Mais si je venais à vous perdre, alors je serais perdu à jamais. "

Les mots étaient sortis d'eux-mêmes. Faible murmure porté par le vent. Mes lèvres se posèrent sur son front.

" Rentrons... "

Ma culpabilité me rongeait, me dévorait, me consumait mais je savais que je finirais par l'atténuer si je prenais soin de mon aimée. Tout était sans intérêt quand je plongeais mon regard dans le sien. Plus rien n'avait d'importance. Plus rien. Je m'élançais dans les airs avec habileté et célérité, sous le couvert de la nuit. D'ici quelques minutes, Elnaria serait enfin à l'abri. C'était tout ce qui m'importait.

Comment aurait-elle pu le repousser ?
Alors qu'elle voulait plus que tout au monde le mettre à l'abri, loin d'elle, ne pas le salir, il lui était tout à fait impossible de se détacher de ses bras qui l'enserraient maintenant. Elle l'aimait beaucoup trop pour ça. Deux instance se tenaient, se déchiraient, et elle n'arrivait pas à écouter celle de la raison. Non, elle ne pouvait se résoudre à le faire sortir de sa vie.

Elle s'imprégnait de son odeur, le corps blotti dans ses bras. Qu'il était doux d'ainsi fendre le ciel, avec Lui. Il était égoiste de vouloir à tous prix le garder à ses côtés. S'il connaissait son passé, resterait-il ?
"Pardonnez-moi, Finlay... J'ai tellement peur qu'il ne vous arrive quelque chose par ma faute... Et puis... Vous savez, je ne suis qu'une moins que rien, vous méritez tellement mieux..."
Elle baissa les yeux, se laissant porter par les bras de son Homme, savourant la caresse du vent sur son visage. Son coeur s'emballait à chaque fois qu'elle posait le regard sur lui. Alors, il était possible d'aimer avec tant d'ardeur ? De vouloir tout donner, tout perdre, pour cet être unique ?

Un air de Tchaikovski vint se nicher dans ses oreilles, apaisant Elnaria, dont le corps meurtri la lancait affreusement. Dans ses instants de faiblesse, elle repensait toujours à ces magnifiques ballets, où Rudolf Noureev évoluait avec grâce et puissance sur des musiques qui la bouleversaient.
Elle fredonnait faiblement, luttant pour ne pas fermer les yeux, pour ne pas grimacer de douleur, pour ne rien laisser transparaitre. Elle devait sourire, pour ne pas l'inquiéter. C'était selon elle le prix à payer pour rester à ses côtés.

Majimena entra chez lui. Il se déshabilla et pris une rapide douche. Il attrapa un costume similaire à celui qu’il portait auparavant, une chemise noire et une cravate blanche. Il n’avait qu’une seule chemise rouge, et elle était maintenant trouée et tachée de sang. Il retourna ensuite au Hilton, espérant que personne ne noterait la différence.
Il annonça le départ de Tetsuzō Fuyushiba qui avait quelques problèmes de santé dus à son age avancé, et cinq minutes plus tard tout les invités reprenaient leurs conversations comme si de rien été. Ne voyant pas Toshi Aele, Jack Yorukobuto s’enquit de son départ auprès de Reon Kadena, qui lui appris qu’elle l’avait vu s’énerver sur son téléphone portable car il n’arrêtait pas de tomber sur le répondeur de la personne qu’il cherchait à joindre, et qu’il avait fini par partir en grommelant.
La « surprise » eu l’effet estompé. Deux américains ivres forcèrent l’entrée de l’hôtel avec des armes à feu, puis furent stoppés par deux invités complices qui maîtrisaient les arts martiaux. La plupart membres du Kōmeitō étaient maintenant pour une application plus stricte des lois concernant l’immigration et de la prohibition des armes à feu sur le sol japonais. S’ils pouvaient transmettre l’idée au Jiyūminshutō, le parti libéral démocrate nippon, allié du Kōmeitō et parti majoritaire à la chambre basse de la Diète, les chasseurs de vampires se verraient limités dans leurs mouvements.

Les nettoyeurs yakuzas firent un boulot impeccable. Aucune trace des corps de Tetsuzō Fuyushiba ou de l’homme roux au kimono ne pourrait être retrouvée par un service officiel. Ils ne posèrent pas de question concernant le cadavre mordu au cou et vidé de son sang.
Il ne restaient donc que trois témoins de la scène qui pouvaient être gênants : Elnaria Aele, le détective Finlay MacRory qu’elle avait appelé, et le vampire en blanc qui était intervenu ensuite. Au mieux, deux témoins si l’homme en blanc et le détective ne faisaient qu’un. Mais si Elnaria ou lui en parlaient, le chiffre pouvait grossir rapidement…

Majimena décida qu’il enverrait quelques hommes de mains (armés de pistolets mitrailleurs et de grenades incendiaire) visiter l’appartement de Mme Aele. Il jeta un œil à sa montre, puis sorti son téléphone portable et appela son contact mafieux pour lui dire de préparer ça dès ce soir. « Vous entrerez à minuit pile chez elle. Vous fouillerez son appartement. Je veux savoir qui elle est, si elle a de la famille, des contacts importants, et ce qu’elle fait pour gagner assez bien sa vie pour porter des vêtements Dior. Si vous trouvez quoi que ce soit concernant un certain Finlay MacRory, notez le aussi. Puis brûlez tout. ». Le bandit lui demanda ce qu’il devait faire s’il y croisait des gens.
Jack réfléchit.
Il connaissait l’adresse d’Elnaria car elle avait accepté de se faire raccompagner en fin d’après-midi, aussi se douterait-elle qu’il irait la chercher là bas. Il était donc peu probable qu’ils l’y croisent. Mais étant donné qu’elle semblait en état de choc lorsqu’il l’avait vu pour la dernière fois, elle pouvait très bien ne pas avoir pensé à ça. Ou pire, si le vampire était bien MacRory, il pouvait très bien l’avoir raccompagné chez elle...
« Si vous voyez une fille, capturez là et amenez la moi. ». Jack souhaitait l’interroger sur ce qu’elle avait pu dire de ce qu’elle avait vu. « Si vous croisez un homme, tuez le. ». Enfin, essayez… pensa Majimena en raccrochant. Le mafieux ne lui avait même pas demandé pourquoi minuit. Jack pourrait ainsi observer l’intervention de l’extérieur, depuis une voiture tout ce qu’il y a de plus banale, sans éveiller les soupçons.

Il regarda sa montre. Encore un quart d’heure et il lui faudrait se diriger vers l’appartement d’Elnaria, s’il souhait arriver dix minutes avant les yakuzas. Il prit une coupe de champagne.

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